Les plateaux de Batéké, havres de paix pour la biodiversité congolaise ?

Situé au sud-est du Congo, à seulement 140 km de Brazzaville et dans une région dotée d’un écosystème riche et atypique, « Les Plateaux de Batéké » représentent un paysage de plateaux et collines ondulées incisées par des vallées et ruisseaux intermittents, dans lequel se développe une végétation de savanes herbeuses et arbustives, entrecoupée de forêts-galeries humides. Malgré une biodiversité riche et unique, du fait de nombreuses pressions, différentes espèces sont en menace d’extinction.

Des paysages uniques…

Constitutifs d’un vaste ensemble bio-géographique constitué de « dunes géantes » qui s’étend du Gabon à travers la République du Congo jusqu’à Kinshasa en République Démocratique du Congo, les plateaux Batéké constituent un paysage unique.

Les Plateaux Batéké sont une série de plateaux et de collines dont les altitudes varient de 350 m à 930 m. le « château d’eau » du Congo est le nom donné à ces plateaux : le relief est constitué de plateaux profondément entaillés par le réseau hydrographique. L’occurrence des eaux dans les différents habitats naturels favorise de façon importante la biodiversité des espèces et des écosystèmes existant. La végétation est une mosaïque de savanes arbustives ou boisées, entrecoupées des forêts galeries humides constituées d’essences diverses.

En 2002, le Parc National des Plateaux Batéké (PNPB), situé dans la Province du Haut – Ogooué, sur la frontière Congo-Gabon, est créé. Ce site, d’une superficie de 204 854 ha, a deux vocations majeures, la conservation de la biodiversité particulière des Plateaux Batéké et la contribution au développement économique durable de la zone. La création de du Parc marque un tournant dans la protection de cet écosystème. La gestion du Parc National des Plateaux Batéké, comprend une étroite collaboration avec le PPG qui gère les sanctuaires de gorilles au Congo et au Gabon.

Du Projet de Protection des Gorilles (PPG) au Projet Lésio-Louna (PLL)…

Situé au sein de l’écosystème riche des « Les Plateaux de Batéké », le projet de protection des Gorilles (PPG) a comme activité principale l’introduction et le suivi en forêt de gorilles des plaines rendus orphelins par le braconnage, saisis par les Eaux et Forêts et confiés au PPG. Afin de remédier à cela, la Fondation John Aspinall ainsi que le Gouvernement décident en 1987 de mettre en place le projet de Protection des Gorilles, ayant pour objectif la protection des espèces menacées et plus particulièrement des gorilles. Dans la continuité de cette initiative, un projet complémentaire à vu le jour, le Projet Lésio-Louna (PLL) ayant pour vocation la préservation, voire la restauration de l’écosystème typique des Plateaux de Batéké ainsi que la réintroduction des gorilles comme moyen de valorisation et de gestion durable.

Le projet Lésio-Louna porte le nom du sanctuaire créé en 1993 en périphérie de la Réserve de Faune de la Léfini, appelée depuis 1999 : « Réserve Naturelle des Gorilles de Lésio-Louna (RNGLL) ». Cette réserve a pour objectifs d’assurer la réinsertion des gorilles en milieu naturel ; de protéger les gorilles et l’écosystème de la réserve ; d’organiser et de promouvoir l’éducation, la formation, la sensibilisation et la recherche sur la biodiversité de la réserve ; de promouvoir et de développer de concert avec les services intéressés, le tourisme de vision ; et d’organiser avec la participation des populations locales, un système intégré de conservation des ressources naturelles de la réserve.

Une réintroduction pas toujours évidente…

Dans un but de développement durable, ce projet doit permettre de remédier à la surexploitation anthropique de cet écosystème, se caractérisant par une déforestation massive et un braconnage très présent dans la région des Plateaux de Batéké, induisant la perte d’une biodiversité riche de part ces espèces animales et végétales. Le début de la réintroduction des gorilles dans leur milieu naturel en 1994 fut difficile. La barrière naturelle composée des deux rivières (Lésio et Louna) ainsi que la savane ne fut pas suffisante pour contraindre les gorilles à rester dans un périmètre délimité. S’approchant des villages voisins de part leur soif d’indépendance, il a donc fallu les remettre en cages, ceci entrainant la mort de certains gorilles. Ce n’est donc qu’en 2003, après une plus grande observation des barrières naturelles du territoire, que les autorités Congolaises ont relâché un premier groupe de gorilles adultes dans le sud-ouest de la Réserve de Faune de la Lefini. Afin d’approfondir la connaissance du territoire, différentes études botaniques et zoologiques ont été entreprises dans les réserves de la Léfini et de Lésio-Louna.

Des éco-gardes et éco-guides ont donc été formé. Les éco-gardes ont un rôle de surveillance face aux pressions anthropiques tel que les braconniers, ainsi que le recensement des espèces présentes dans la réserve. Les éco-guides, quant-à eux, sont présent pour faire découvrir cet écosystème particulier à de petits groupes de touristes. Ce qu’ils appellent un tourisme de vision.

L’écotourisme comme aide à la sensibilisation…

Il est possible de séjourner dans cette Réserve, trois sites distincts ont été créés avec un thème propre à chacun d’eux. Tout d’abord le site d’Iboubikro (village des gorilles) situé sur les rives de la rivière Lésio, propose un hébergement composé de huit chambres pour une dizaine de personnes. On peut y voir des gorilles captifs recueillis (bébés et sub-adultes en voie de réhabilitation) et des espèces telles que des sitatungas, hippopotames et crocodiles, ou encore se baigner dans un Lac d’eau claire (Le Lac Bleu), ou faire une randonnée vers la montagne Ngaka. Les sites d’Abio et Confluent, se situent quant-à eux dans la Réserve du Sud-Ouest Léfini et offrent un séjour plus rustique. Plus approprié aux amoureux de la nature, il est possible de parcourir la Louna et la Léfini en pirogue tout en observant un panorama exceptionnel et de rencontrer deux groupes de gorilles réintroduits en totale liberté. Un nouveau site d’accueil touristique à Ipopi est en projet afin de répondre à la demande croissante des touristes étrangers.

Afin de développer l’économie locale la réserve s’approvisionne auprès des villageois pour nourrir les gorilles, cela contribue à l’amélioration des conditions de vie de la population locale.

Les ONG interviennent dans les écoles pour une prise de consciences écologique auprès des plus jeunes. Des missions d’information sont également mises en place en périphérie de la Réserve dans un but de sensibiliser la population locale à la sauvegarde des animaux.

Des richesses écologiques toujours menacée…

Région difficilement accessible, elle a été déclaré « critique » par  l’UICN (l’union mondiale pour la nature) face aux  menaces telles que la pression de la chasse et la disparition de certaines espèces. Malgré un projet structuré et la présence sur site d’éco-gardes chargés de la surveillance, différentes pressions anthropiques restent bien présentes.

La menace la plus dangereuse et difficile à contrôler est celle du braconnage et du commerce de viande de brousse. Ils constituent les principaux problèmes. Le braconnage transfrontalier, facilité par la nature ouverte du terrain, est pratiqué par des Congolais qui viennent chasser au Gabon pour l’approvisionnement de Brazzaville. Le braconnage est la principale menace directe pesant sur la préservation de la biodiversité des plateaux. Les braconniers identifiés, directement ou indirectement (indices de présence, munitions, campements etc.) sont à plus de 90% congolais, majoritairement issus du Plateau Koukouya (autour de Lékana) et minoritairement, issus de la zone de Zanaga. Dès lors, des démarches ont été entreprises pour travailler avec les autorités de part et d’autre de la frontière pour tenter de limiter cette pratique.

La déforestation reste également un problème d’actualité. Les sols étant pauvres, il est difficile de garantir un rendement agricole suffisant pour les populations locales. On assiste donc parfois à un déboisement anarchique et incontrôlé aux abords de la réserve PLL. Il sert à la confection du charbon de bois qui est avec l’agriculture, une des principales sources de revenu de la population locale. D’autre part, les feux de brousse anthropiques sont probablement devenus trop fréquents pour le maintien de la biodiversité: beaucoup de sections du PNPB brûlent au moins deux fois par an.

D’autre menaces, indirectes peuvent aussi mettre en péril l’équilibre de ce système. Notamment la faible capacité de gestion. Les ressources humaines et financières, les infrastructures et les équipements sont insuffisants pour pouvoir gérer le parc national de manière adéquate. Une politique de gestion de la faune clairement définie dans la loi forestière fait sans doute défaut. Il manque aussi une structure exécutive légale dotée des capacités nécessaires pour la gestion des parcs nationaux.

 

Des plateaux habités, des ethnies souvent oubliées…

De faible densité, 0,2 habitant/km², la région est essentiellement habitée aujourd’hui par une population homogène Téké, plus connus sous l’appellation Batéké. Elle constitue l’une des rares populations non côtières d’Afrique. Les habitants de cette région restent les témoins d’une civilisation qui connaît les mutations culturelles profondes. L’argument ethnique a très peu pesé dans les débats de mise en place du Parc National, les Batéké voyaient à nouveau une frontière passer à travers leur ancien royaume.

Les villageois restent très réticents face à des projets qui leur paraissent disproportionné. 400 000€ par an serait financé par la fondation John Aspinall pour la sauvegarde des gorilles tandis que seulement 30 000€ serait consacré au projet de développement du niveau de vie de la population locale. Pour les 15000 villageois, la réserve représente une perte importante de territoire, essentiellement utilisé comme terrain de chasse. Le braconnage des gorilles se pratique surtout pour sa viande, son crâne et ses mains, qui sont censés porter chance et se vendent à prix d’or.

Concernant l’usage des terres, 90% de la population est impliquée dans l’agriculture, 50% dans la chasse et 40% dans la cueillette. Il faut noter que trop souvent la prise en compte de l’environnement est mal perçue par les populations locales car il s’agit de réservoirs écologiques très riches.

Cependant nous parlons aussi de terres sur lesquelles des êtres humains vivent depuis des siècles. La protection de l’environnement, indispensable pour garantir le potentiel écologique des milieux dans le temps, devrait sans doute se faire dans un plus grand souci d’implication des populations locales et de respect de leur mode de vie. Les principes de concertation, devraient, peut être, être mieux valorisés et utilisés, notamment lorsque les populations sont impactées, dans une optique de meilleure gestion des espaces naturels dont l’homme est une composante essentielle.

Par Delphine Berlioux et Claire Longuet.



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